Humour : Episode 1 du Petit Lexique de la Modernitude

Esprit satirique : Les joies du petit vocabulaire de la Modernitude (Episode hebdo n°1)


19/04/20


En exclusivité, InfoBassin va vous délivrer toutes les semaines, un cadeau de deux auteurs pour vous rendre le sourire dans cette période morbide.  Des extraits choisis du « Petit lexique de la modernitude« , un bijou d’humour satirique.


modernitude cactus livre-Jean-Marie Audignon habite à Gujan-Mestras. Il a exercé bien des métiers, dont celui de correcteur à Sud Ouest, et de collaborateur du très regretté Pierre Desproges. Il fut aussi fournisseur de sketches pour la série « Merci Bernard » de Jean-Michel Ribes.


Pierre Laurendeau est un spécialiste de la langue française, il a écrit deux ouvrages sur le sujet, collaboré au Nouvel Observateur et codirigé un dictionnaire des difficultés. Plusieurs de ses textes ont été adaptés au théâtre.


Michel Guérard a illustré le livre avec une signalétique toute particulière…

Les trois compères ont commis ensemble ce petit condensé d’humour, révélateur de certains travers de notre société, en phase totale avec l’esprit satirique d’Infobassin…


Michel Lenoir, Directeur de Publication



Add-on

Angl., tech., info. Équivalent français : « accessoire ». L’add-on, c’est la touche finale, le petit truc sans lequel un produit n’est rien. Imagine-t-on une Ferrari sans brushing automatique de la carrosserie ? ou une glace artisanale sans la petite gaufrette chapeautant le cornet dégoulinant ? Grâce aux add-on, les spécialistes en marketing automobile proposent des prix « à partir de* » qui accrochent le chaland. Quand ce dernier sortira de la boutique, l’objet convoité aura doublé de prix par la magie des add-on empilés (phares au phosphore transgénique, gratte-bitume en titane, flexi-chocs contre-limaces…).



Aimer

(on aime, on a aimé, la rédaction a aimé). Pub., médias. Formule publicitaire à prétention journalistique. D’abord utilisée dans les journaux féminins, s’est propagée, tel un virus porteur de cash, aux suppléments de nombreux magazines et quotidiens. « On a aimé : la doudoune à prix doux* [un demi-bras, quand même], le blouson vintage* [1750 €], le week-end en amoureux à Dubrovnik [2890 €]. » Le procédé vise à nous faire acheter, mis en confiance par le support, et par empathie pour la rédaction-que-c’est-presque-des-copines, un presse-agrumes tendance* ou une chaise culte*. Nous fait prendre des vessies hors de prix pour de banales lanternes, ou vice versa.



À partir de…

Commerce. Cette locution prometteuse, généralement suivie de chiffres alléchants, est un appât.

L’affiche est large et, sous l’étincelante berline premium, le prix paraît presque ridicule : « à partir de 17000 euros ». Crénom ! Votre passion pour les moteurs puissants et les bolides carrossés par Chapron se réveille, et vous vous approchez, le cœur battant… Hélas ! pour la somme annoncée vous repartirez avec les roues, la carrosserie et quelques babioles, mais sans les indispensables add-on* qui feront de vous un conducteur connecté, bardé de prothèses électroniques. Sans ce prudent « à partir de », cette publicité serait mensongère. Vous aurait-on pris pour un gogo ?


Votre dur labeur a porté ses fruits : avec Madame, la proximité de la retraite émoustille votre désir patrimonial. Et justement, dans un hebdomadaire pour CSP+, s’offre à vous un programme neuf éligible à la loi Pinel, ce qui n’est pas rien (propriétaire sans apport, réduction d’impôts, rente locative prévue, etc.). Dans le centre-ville de Bordeaux, en plus. Et le T3 de vos rêves « à partir de 220.000 euros » ! Si ce n’est pas un signe du Ciel, ça y ressemble fort ! Rendez-vous pris avec un commercial, la chute va être sévère. Car le seul T3 qui reste est à 20 000 euros de plus (« Ça part comme des petits pains ! », claironne le costume gris derrière le bureau), et pour cette somme vous n’aurez pas la terrasse dont vous rêviez (25 mètres carrés, plein sud), mais un balconnet de la taille d’une jardinière. Vous aurait-on pris pour une pompe à phynance ?


modernitude panneau ascenseur scoailVous baguenaudez dans une rue commerçante sur les coups de treize heures, et la faim se faisant sentir, vous avisez un restaurant à l’enseigne Les Gourmets. « Toute l’équipe vous propose sa formule du midi à partir de 12,50 € (sauf jours fériés et week-end) et son menu “à partir de 18,00 € (sauf samedi midi) », clame la réclame. Devant tant de restrictions et ayant lu les paragraphes qui précèdent, vous vous dirigez d’un pas vif et confiant vers une gargote à prix fixes.



Appli

Néol., angl., inform. Apocope de « application ». Les logiciels de papa sont devenus les applis du fiston. Adaptés à la vie nomade des internautes 2.0*, ces outils embarqués simplifient votre vie de tous les jours. Dans une ville inconnue, « Find my car » vous aide à retrouver l’emplacement où vous avez garé votre véhicule, sauf si votre batterie vient de rendre l’âme. « Plane finder » vous indique la marque de l’aéroplane qui vous surplombe, son altitude, sa destination, le nombre de passagers… Quant à « Yo », qualifiée d’appli la plus inutile, elle vous permet d’adresser un unique message à six milliards d’êtres humains : « Yo » !



Apprenant

En français : « élève ». L’apprenant est censé faire ce que faisait l’élève autrefois, mais il n’a plus en face de lui ni instituteur ni professeur, mais des sachants*, formés à la pédagogie par des scientifiques de l’éducation. Il apprendra que toute chose a une structure, que tout est langage, qu’il faut repérer dans un texte les champs lexicaux, les champs sémantiques, distinguer le « schéma narratif » du « schéma actantiel »…

Souvent le pauvre élève n’y comprendra que pouic. Et nous de même. « Il convient de faire la différence entre “le savoir-être” en tant que capacité et en tant que compétence. Dans ce dernier cas, il s’agit de l’ensemble des connaissances culturelles et sociales permettant à l’apprenant d’adapter son comportement aux us et coutumes. Par ex. : “On fait combien de bises déjà en Bretagne ?” » (sic) (Portail-du-fle-info.)



Ascenseur social

Éco., société. Outil moderne parfois utilisé par des personnes d’extraction modeste afin d’atteindre, métaphoriquement, le haut du panier. Ainsi l’ouvrier et l’employé, poussant leurs compétences au-delà du possible, forçant la déférence envers la hiérarchie, après avoir habilement éliminé leurs rivaux, faisant parfois le détour par un syndicalisme de connivence, se glisseront-ils bientôt dans l’uniforme tant envié du chef de service ! Notons que cette cabine qui monte et qui descend peut être à plusieurs vitesses : « Si elle prend l’ascenseur social, c’est en mode express. » (Le 1, 21/9/2016)…

Hélas ! l’appareil est souvent en panne : « Le Rouge et le Noir, de Stendhal, est le premier roman de la panne de l’ascenseur social. » (Le Monde, 19/11/2012). Nous voici bien loin de l’époque pré-électrique où, pour s’élever dans la société, on avait recours à la bonne vieille échelle sociale. Comme l’écrit un bloggueur en un joli télescopage de métaphores : « L’ascenseur social, c’est un peu le canot du Titanic. »



Automobiles

(disparition fréquente de l’article défini ou indéfini dans la présentation des modèles). – Personnalisation extrême de la voiture : elle a un nom propre, patronymique, unique. « Venez essayer Zoe et Kangoo Z.E. dans le hall 3 », « Nouvelle Citroën C3 arrive ! ». On ne dira donc plus, avant d’acquérir une machine à disperser particules fines et oxyde d’azote, « Elle vaut combien, c’te caisse ? », mais, le petit doigt levé : « Quel prix pour Mégane SUV, s’il vous plaît ? »


A suivre…


D’après le Petit lexique de la modernitude, de Jean-Marie Audignon et Pierre Laurendeau, Dessins / Signalétique de Michel Guérard. Ginkgo Editeur, collection L’ange du bizarre. 183 pages. 9€. 13cm X 19cm . A commander en librairie, ou sur internet ici ou


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